Les clauses léonines annulées : enjeux juridiques et conséquences pratiques

En droit des sociétés, les clauses léonines représentent l’une des limitations fondamentales à la liberté contractuelle. Prohibées par l’article 1844-1 du Code civil, ces stipulations qui attribuent à un associé la totalité du profit ou l’exonèrent de la totalité des pertes sont frappées de nullité. Cette sanction radicale témoigne de l’attachement du législateur à l’équilibre des relations entre associés et à l’essence même du contrat de société. La jurisprudence a progressivement précisé les contours de cette prohibition, créant un corpus de règles complexes dont la maîtrise s’avère indispensable pour les praticiens. Face aux montages financiers sophistiqués de l’économie moderne, la question des clauses léonines conserve toute sa pertinence et continue d’évoluer sous l’influence des juges.

Fondements juridiques et historiques de la prohibition des clauses léonines

La prohibition des clauses léonines trouve ses racines dans le droit romain. Le terme « léonin » fait référence à la fable du lion qui, s’associant avec d’autres animaux pour la chasse, s’attribue toutes les parts du butin. Cette métaphore illustre parfaitement la situation où un associé bénéficie d’un avantage disproportionné au détriment des autres.

L’article 1844-1 du Code civil constitue le socle de cette prohibition en droit français. Son alinéa 2 dispose expressément que « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ». Cette formulation claire établit deux types de clauses prohibées : celles qui attribuent tout le profit à un associé ou l’exonèrent de toutes les pertes, et celles qui excluent un associé de tout profit ou lui font supporter toutes les pertes.

Cette prohibition s’inscrit dans la logique de l’affectio societatis, élément constitutif du contrat de société. La Cour de cassation a régulièrement rappelé que la participation aux résultats constitue un élément essentiel de la qualité d’associé. Dans un arrêt fondateur du 18 octobre 1994, la chambre commerciale a précisé que « la participation aux bénéfices comme la contribution aux pertes sont de l’essence du contrat de société ».

Le fondement de cette prohibition réside dans la volonté du législateur de préserver l’équilibre contractuel et d’éviter qu’un associé ne se retrouve dans une position trop favorable ou trop défavorable. La doctrine juridique souligne que cette règle protège l’intégrité du contrat de société et empêche qu’il ne dégénère en un contrat de prêt déguisé ou en une relation léonine.

Il convient de noter que cette prohibition n’est pas absolue. La jurisprudence a progressivement nuancé son application, notamment pour les pactes d’actionnaires et les promesses de rachat de titres. Le Conseil constitutionnel n’a jamais été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition, mais la Cour européenne des droits de l’homme a validé des mécanismes similaires dans d’autres pays européens, considérant qu’ils relevaient de la marge d’appréciation des États en matière économique.

Évolution historique de la prohibition

La prohibition des clauses léonines a connu une évolution significative au fil des siècles. Initialement absolue dans l’ancien droit français, elle s’est progressivement assouplie sous l’influence des besoins de la pratique commerciale et financière. Le Code de commerce de 1807 maintenait une interdiction stricte, mais les réformes successives du droit des sociétés ont introduit des exceptions et des tempéraments.

Cette évolution témoigne de la tension permanente entre le principe d’égalité entre associés et les nécessités du financement des entreprises, particulièrement dans un contexte économique mondialisé où les montages financiers se complexifient.

Typologie et identification des clauses léonines

L’identification précise des clauses léonines nécessite une analyse fine des stipulations contractuelles. La jurisprudence a dégagé plusieurs catégories de clauses susceptibles d’être qualifiées de léonines et donc frappées de nullité.

La première catégorie concerne les clauses d’attribution intégrale des bénéfices à un associé. Ces stipulations sont manifestement léonines lorsqu’elles prévoient qu’un associé percevra l’intégralité des profits générés par la société, privant ainsi les autres associés de toute participation aux résultats positifs. La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises la nullité de telles clauses, notamment dans un arrêt du 10 février 2009 où elle a sanctionné une convention prévoyant l’attribution de la totalité des bénéfices à un seul associé.

La deuxième catégorie englobe les clauses d’exonération totale des pertes. Ces clauses permettent à un associé d’échapper à toute contribution aux pertes sociales, ce qui contrevient directement à l’article 1844-1 du Code civil. Dans un arrêt du 16 novembre 2004, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé que « la clause qui dispense un associé de toute contribution aux pertes est réputée non écrite ».

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La troisième catégorie regroupe les clauses d’exclusion totale du profit pour un associé. Ces stipulations privent un associé de toute participation aux bénéfices de la société. La jurisprudence considère invariablement ces clauses comme léonines, car elles dénaturent la qualité d’associé.

Enfin, la quatrième catégorie comprend les clauses mettant la totalité des pertes à la charge d’un seul associé. Ces clauses sont particulièrement inéquitables et contraires à l’esprit du contrat de société. La chambre commerciale a systématiquement sanctionné ces stipulations, comme dans son arrêt du 8 mars 2005.

  • Clauses d’attribution intégrale des bénéfices à un associé
  • Clauses d’exonération totale des pertes pour un associé
  • Clauses d’exclusion totale du profit pour un associé
  • Clauses mettant la totalité des pertes à la charge d’un associé

Il est primordial de noter que le caractère léonin s’apprécie au moment de la conclusion du contrat et non en fonction des résultats effectifs de la société. Ainsi, une clause qui, par son mécanisme, aboutirait potentiellement à priver un associé de tout profit ou à l’exonérer de toute perte sera qualifiée de léonine, même si cette situation ne se réalise pas dans les faits.

Cas particulier des clauses de rachat à prix plancher

Les clauses de rachat à prix plancher méritent une attention particulière. Ces stipulations prévoient qu’un associé pourra céder ses titres à un prix minimum garanti, indépendamment de la valeur réelle des parts au moment de la cession. La Cour de cassation a longtemps considéré ces clauses comme léonines, estimant qu’elles exonéraient l’associé cédant de sa participation aux pertes.

Toutefois, un revirement jurisprudentiel significatif s’est opéré avec l’arrêt Bowater du 20 mai 1986, dans lequel la chambre commerciale a jugé que « la convention de rachat de parts sociales à un prix plancher, conclue lors de l’acquisition de ces parts, n’était pas affectée par la prohibition des clauses léonines dès lors qu’elle ne déterminait pas la vocation aux bénéfices et aux pertes dans la société des associés en cette qualité mais constituait une modalité de cession des droits sociaux ».

Jurisprudence et évolution des critères d’annulation

La jurisprudence relative aux clauses léonines a connu une évolution significative, témoignant d’une approche de plus en plus nuancée de la part des tribunaux. Cette évolution reflète la tension entre le respect des principes fondamentaux du droit des sociétés et la nécessité de s’adapter aux réalités économiques contemporaines.

Le tournant majeur dans cette évolution jurisprudentielle est sans conteste l’arrêt Bowater rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 20 mai 1986. Dans cette décision, les juges ont établi une distinction fondamentale entre les clauses affectant la répartition des résultats entre associés et celles relevant des modalités de cession des droits sociaux. Cette distinction a ouvert la voie à une interprétation plus souple de la prohibition des clauses léonines.

Cette nouvelle approche a été confirmée et précisée par l’arrêt SDBO du 10 janvier 1989, dans lequel la Haute juridiction a jugé qu’une promesse d’achat de parts sociales à un prix déterminé, indépendant des résultats de la société, n’était pas léonine car elle n’affectait pas la participation aux bénéfices et aux pertes des associés en cette qualité.

La Cour de cassation a ensuite développé une jurisprudence de plus en plus fine, distinguant plusieurs hypothèses :

  • Les conventions conclues entre associés en cette qualité, qui restent soumises à la prohibition stricte
  • Les conventions de cession de droits sociaux, qui échappent généralement à la prohibition
  • Les conventions mixtes, dont la qualification dépend de leur finalité principale

Dans un arrêt du 22 février 2005, la chambre commerciale a précisé que « seules les clauses qui déterminent la participation des associés aux bénéfices et leur contribution aux pertes dans la société sont susceptibles d’être annulées sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil ». Cette formulation restrictive confirme la volonté des juges de limiter le champ d’application de la prohibition.

Plus récemment, dans un arrêt du 3 mars 2015, la Cour de cassation a validé une promesse de rachat à prix plancher, considérant qu’elle ne constituait pas une clause léonine dès lors qu’elle intervenait à l’occasion de la cession des titres et non dans le cadre de la détermination des droits des associés dans les résultats sociaux.

Le critère déterminant de la qualité des parties

Un critère déterminant dans l’appréciation du caractère léonin d’une clause est celui de la qualité en laquelle les parties interviennent. La jurisprudence distingue selon que la convention est conclue entre associés en cette qualité ou entre un associé et un tiers, ou encore entre un associé agissant en tant que cédant et un autre en tant qu’acquéreur.

Dans un arrêt du 16 novembre 2004, la chambre commerciale a jugé qu’une convention entre associés portant sur la répartition des résultats était soumise à la prohibition des clauses léonines, tandis qu’une promesse de rachat de titres entre un associé cédant et un tiers acquéreur échappait à cette prohibition.

Cette distinction, bien qu’apparemment claire, soulève des difficultés pratiques dans les montages complexes, notamment dans les opérations de capital-investissement où les frontières entre les qualités d’associé, de créancier et de partenaire commercial peuvent s’avérer poreuses.

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Conséquences juridiques de l’annulation des clauses léonines

L’annulation d’une clause léonine entraîne des conséquences juridiques significatives qu’il convient d’analyser avec précision. La première question concerne l’étendue de la nullité : affecte-t-elle uniquement la clause léonine ou l’ensemble du contrat dans lequel elle s’insère ?

L’article 1844-1 du Code civil apporte une réponse claire à cette interrogation en précisant que les clauses léonines sont « réputées non écrites ». Cette formulation indique que seule la clause prohibée est affectée, sans remettre en cause la validité du contrat dans son ensemble. Il s’agit donc d’une nullité partielle, conformément au principe de conservation des actes juridiques.

Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts, notamment dans une décision du 4 janvier 1994 où elle précise que « la clause léonine est réputée non écrite, sans que cette nullité partielle n’affecte les autres stipulations du pacte d’associés ». Cette position jurisprudentielle présente l’avantage de préserver la sécurité juridique tout en sanctionnant les stipulations contraires à l’ordre public sociétaire.

Une fois la clause léonine écartée, se pose la question du régime applicable à la répartition des bénéfices et des pertes. En l’absence de stipulation valable, l’article 1844-1 alinéa 1 du Code civil prévoit que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social ». Ce mécanisme supplétif garantit un retour à une répartition équitable et proportionnelle, conforme à l’esprit du contrat de société.

Sur le plan procédural, l’action en nullité d’une clause léonine peut être intentée par tout intéressé, y compris par un associé qui aurait initialement consenti à cette clause. La jurisprudence considère en effet que la prohibition des clauses léonines relève de l’ordre public de protection, ce qui autorise les parties à invoquer la nullité de stipulations auxquelles elles ont pourtant adhéré. Cette solution a été confirmée par un arrêt de la chambre commerciale du 19 octobre 2010.

Concernant le délai de prescription, l’action en nullité d’une clause léonine est soumise au délai de droit commun de cinq ans prévu par l’article 2224 du Code civil. Ce délai court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action.

Effets sur les tiers et sur les opérations déjà réalisées

L’annulation d’une clause léonine soulève la question délicate de ses effets à l’égard des tiers et des opérations déjà réalisées. La Cour de cassation a adopté une position nuancée sur ce point.

Dans un arrêt du 12 mai 2004, la chambre commerciale a jugé que « la nullité d’une clause léonine ne peut porter atteinte aux droits acquis de bonne foi par les tiers ». Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 1844-16 du Code civil qui protège les droits des tiers de bonne foi en cas de nullité affectant les actes ou délibérations des organes sociaux.

Quant aux opérations déjà réalisées sur le fondement de la clause annulée, la jurisprudence tend à limiter la rétroactivité de la nullité pour préserver la sécurité juridique. Ainsi, dans un arrêt du 7 juillet 2009, la chambre commerciale a refusé de remettre en cause des distributions de dividendes effectuées sur la base d’une clause de répartition ultérieurement jugée léonine.

Stratégies de rédaction pour éviter la qualification de clause léonine

Face aux risques d’annulation, les praticiens ont développé diverses stratégies de rédaction visant à concilier les objectifs économiques des parties avec les exigences légales relatives aux clauses léonines. Ces approches témoignent d’une créativité juridique au service de l’ingénierie sociétaire.

La première stratégie consiste à structurer les opérations en distinguant clairement les conventions relevant du pacte social (soumises à la prohibition des clauses léonines) de celles relevant des relations entre cédant et cessionnaire de titres (généralement exemptées). Cette distinction, consacrée par la jurisprudence Bowater, permet de sécuriser juridiquement certains mécanismes de garantie de prix ou de sortie privilégiée.

Dans cette perspective, il est recommandé de formaliser les promesses d’achat ou de vente de titres dans des actes distincts des statuts ou du pacte d’associés, en précisant expressément que ces conventions interviennent à l’occasion d’opérations de cession et non dans le cadre de la détermination des droits des associés dans les résultats sociaux.

Une deuxième approche consiste à prévoir des mécanismes de répartition inégale mais non totale des bénéfices ou des pertes. La jurisprudence admet en effet la validité des clauses qui, sans attribuer la totalité du profit à un associé ou l’exonérer de la totalité des pertes, instaurent une répartition déséquilibrée. Ainsi, une clause prévoyant qu’un associé recevra 95% des bénéfices ou ne supportera que 5% des pertes échappera généralement à la qualification de clause léonine.

Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 octobre 1994, où elle précise que « seule la stipulation qui exclut totalement un associé du profit ou le libère de toute contribution aux pertes est prohibée par l’article 1844-1 du Code civil ».

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Une troisième stratégie repose sur l’utilisation de mécanismes alternatifs produisant des effets économiques similaires à une clause léonine sans en présenter les caractéristiques juridiques. Parmi ces mécanismes figurent :

  • Les actions de préférence avec droits financiers renforcés
  • Les prêts participatifs ou obligations convertibles
  • Les conventions de portage avec option d’achat ou de vente
  • Les mécanismes de complément de prix conditionnels

Ces instruments permettent d’atteindre des objectifs économiques similaires (protection contre les pertes, garantie de rendement, etc.) tout en évitant la qualification de clause léonine.

Le cas particulier du capital-investissement

Dans le domaine du capital-investissement, la question des clauses léonines revêt une importance particulière. Les investisseurs financiers cherchent légitimement à sécuriser leur investissement et à garantir un certain rendement, ce qui peut les conduire à négocier des mécanismes potentiellement qualifiables de léonins.

Pour répondre à cette problématique, la pratique a développé des montages sophistiqués combinant différents instruments juridiques. Les pactes d’actionnaires dans ce contexte prévoient généralement :

Des mécanismes de liquidité programmée (clauses de sortie forcée, drag along, tag along) qui permettent de garantir une sortie de l’investissement sans pour autant affecter la répartition des résultats pendant la durée de détention des titres.

Des instruments financiers hybrides comme les actions de préférence avec dividende prioritaire ou les obligations convertibles, qui offrent une protection financière sans contrevenir à la prohibition des clauses léonines.

Des mécanismes d’ajustement de valorisation post-acquisition (earn-out, complément de prix) qui permettent d’adapter le prix de cession aux performances futures sans modifier la répartition statutaire des bénéfices et des pertes.

Ces stratégies doivent être mises en œuvre avec prudence et faire l’objet d’une documentation juridique rigoureuse, distinguant clairement ce qui relève de la qualité d’associé et ce qui relève des relations contractuelles entre cédant et cessionnaire.

Perspectives d’évolution du régime des clauses léonines

Le régime des clauses léonines, bien qu’ancré dans notre tradition juridique, n’est pas figé. Il évolue sous l’influence de plusieurs facteurs qui méritent d’être analysés pour anticiper les mutations futures de cette prohibition.

Le premier facteur d’évolution réside dans l’internationalisation croissante des affaires. Les droits étrangers adoptent des approches diverses face aux clauses léonines, certains systèmes juridiques se montrant plus libéraux que le droit français. Le droit américain, par exemple, autorise largement les aménagements conventionnels dans la répartition des profits et des pertes entre associés. Cette diversité d’approches crée une forme de concurrence normative qui pourrait inciter le législateur français à assouplir sa position pour maintenir l’attractivité du droit français des sociétés.

Dans cette perspective, plusieurs pistes de réforme peuvent être envisagées. L’une d’elles consisterait à limiter la prohibition aux seules sociétés de personnes, où l’affectio societatis joue un rôle prépondérant, tout en libéralisant le régime applicable aux sociétés de capitaux. Une autre approche pourrait consister à admettre explicitement la validité des clauses léonines dans certains contextes spécifiques, comme les opérations de capital-investissement ou les joint-ventures internationales.

Le deuxième facteur d’évolution tient à la complexification croissante des instruments financiers. L’innovation financière produit constamment de nouveaux mécanismes qui brouillent les frontières traditionnelles entre capital et dette, entre qualité d’associé et qualité de créancier. Face à ces innovations, la distinction binaire entre clauses léonines prohibées et stipulations valides apparaît parfois artificielle ou inadaptée.

La jurisprudence a déjà amorcé une adaptation en reconnaissant la validité de certains mécanismes sophistiqués qui, tout en produisant des effets économiques similaires aux clauses léonines, échappent à cette qualification en raison de leur structure juridique. Cette évolution pragmatique pourrait se poursuivre, conduisant à une approche de plus en plus fonctionnelle et moins formaliste de la prohibition.

Un troisième facteur d’évolution réside dans les influences du droit européen. Bien que l’Union européenne n’ait pas harmonisé le droit des sociétés sur ce point précis, certaines directives et règlements européens, ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice, favorisent indirectement une libéralisation des règles nationales au nom de la liberté d’établissement et de la libre circulation des capitaux.

Vers une approche plus économique et moins formaliste ?

L’évolution récente de la jurisprudence suggère un déplacement progressif vers une approche plus économique et moins formaliste de la prohibition des clauses léonines. Les juges semblent de plus en plus attentifs à la finalité économique des mécanismes contractuels et à leur impact concret sur l’équilibre des relations entre associés, plutôt qu’à leur qualification juridique formelle.

Cette approche fonctionnelle présente l’avantage de s’adapter plus facilement aux innovations contractuelles et aux besoins de la pratique des affaires. Elle permet notamment de valider certains mécanismes de garantie financière qui, sans formellement contrevenir à la lettre de l’article 1844-1 du Code civil, en respectent l’esprit en préservant un équilibre minimal entre les associés.

Toutefois, cette évolution vers plus de souplesse comporte des risques. Une libéralisation excessive pourrait fragiliser la protection des associés minoritaires et dénaturer le contrat de société en le rapprochant d’un simple contrat de financement. La doctrine juridique souligne à juste titre que la prohibition des clauses léonines constitue un garde-fou nécessaire contre certaines dérives potentielles.

L’enjeu pour l’avenir sera donc de trouver un équilibre entre la nécessaire protection des fondements du droit des sociétés et l’adaptation aux réalités économiques contemporaines. Cette recherche d’équilibre pourrait passer par une clarification législative du régime des clauses léonines, précisant notamment les critères d’application de la prohibition et ses exceptions reconnues.

Dans l’attente d’une telle réforme, les praticiens doivent naviguer avec prudence dans ce domaine en constante évolution, en s’appuyant sur les orientations jurisprudentielles récentes tout en restant attentifs aux principes fondamentaux qui continuent de structurer notre droit des sociétés.